Lutter contre l'empire logistique
Lutter contre l’empire logistique, c’est lutter contre l’explosion du commerce international a fait émerger une logistique mondialisée tentaculaire, qui s’étend à tous les recoins de nos territoires. Entrepôts géants, plateformes automatisées, réseaux d’autoroutes, cargos titanesques, flux constants de camions et de colis : derrière cette infrastructure soi-disant “neutre” ou “efficace” se cache une machine d’exploitation systémique du vivant et des corps.
C'est quoi le problème ?
L’organisation de la logistique repose sur une logique prédatrice : délocalisations massives, sous-traitance maltraitante, précarisation du travail, concentration des richesses dans les mains de quelques multinationales. À cela s’ajoutent des ravages écologiques majeurs : émissions de CO₂, artificialisation des sols, pollutions multiples, gaspillage massif de ressources, disparition des terres nourricières. La logistique industrielle n’est pas un simple rouage technique : elle redessine nos territoires et nos vies au profit d’une économie de l’instantané et du toujours-plus.
Les grands bénéficiaires sont connus : Amazon en tête, suivi par XPO Logistics, DHL, FedEx ou DB Schenker. Tous prospèrent sur l’essor du e-commerce et de la consommation à flux tendus, avec la bénédiction de l’État et des pouvoirs publics qui continuent de financer routes, zones d’activités et infrastructures sous couvert de développement et d’emploi.
Face à cela, une question s’impose : combien de terres devons-nous encore sacrifier pour que des colis arrivent en 24 heures ? Combien de vies broyées dans les entrepôts pour que le système tienne debout ? Partout en France et ailleurs, des citoyen·nes, des paysan·nes, des collectifs se lèvent contre l’emprise de cet empire logistique. Leur résistance éclaire une autre voie, fondée sur la justice sociale, la relocalisation des communs, et la reconquête des territoires.
Un tournant historique : naissance de l’empire logistique
« L’empire logistique » tel que nous le connaissons aujourd’hui prend forme à partir des années 1970-1980, avec la standardisation du conteneur maritime et la généralisation du « just-in-time » dans l’industrie. Cette mécanique de flux continus permet de délocaliser massivement la production tout en maintenant un approvisionnement rapide. Dans les années 1990-2000, l’arrivée d’Internet, la financiarisation de l’économie et la déréglementation généralisée ont achevé de donner naissance à un système logistique global, contrôlé par quelques géants industriels et commerciaux.
La France au cœur de l’empire
De part sa géographie, la France occupe une place stratégique dans la circulation des marchandises en Europe. Ses grands ports (Le Havre, Marseille, Dunkerque) et ses infrastructures terrestres en font un carrefour logistique. Des projets comme HAROPA (fusion des ports de l’axe Seine) ou le Lyon-Turin (corridor fret transalpin) ambitionnent d’accroître encore les volumes en transit.
Au niveau politique, la stratégie « France Logistique 2025 » et les plans européens de décarbonation du transport soutiennent paradoxalement l’extension du réseau logistique sous couvert de compétitivité et de transition écologique.
Retour sur la vague d’actions contre l’empire Bolloré – Soulèvements de la terre
Logistique et néocolonialisme : l’exemple Bolloré
L’empire logistique ne se limite pas à l’Europe. Il prolonge et modernise des dynamiques coloniales. Le groupe Bolloré a ainsi bâti un quasi-monopole sur les ports et les voies ferrées d’Afrique de l’Ouest, contrôlant les corridors entre les côtes et les arrière-pays pour les matières premières, les marchandises et les flux financiers. Ce pouvoir logistique renforce la dépendance des anciennes colonies aux marchés mondiaux et prive les populations locales de leur souveraineté territoriale et économique.
Chiffres-clés : l’âge d’or de la logistique
La France comptait près de 3 750 entrepôts de plus de 10 000 m² en 2024, en constante augmentation. L’essor du e-commerce mondial, avec Amazon en tête (plus de 500 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel), tire cette dynamique. XPO Logistics, de son côté, réalise plusieurs dizaines de milliards de chiffre d’affaires.
Le transport est aujourd’hui responsable d’environ 33 % des émissions mondiales de CO₂, dont 3 % rien que pour le transport maritime. La logistique participe également activement à l’artificialisation des sols, à la fragmentation des habitats et à la perte de biodiversité.
Le mirage de la logistique verte
Pour répondre aux critiques croissantes, les grands acteurs du secteur investissent dans des projets de « logistique verte » : entrepôts à énergie positive, véhicules électriques, livraison par drone, etc. Mais ces innovations technologiques ne remettent pas en cause le principe même de l’accélération des flux et de la croissance infinie. Elles participent au greenwashing d’un système fondamentalement insoutenable.
Partis politiques : un paysage contrasté
Peu de partis prennent position clairement sur l’empire logistique. Europe Écologie-Les Verts, La France Insoumise et certaines factions de la gauche radicale s’y opposent frontalement, mettant en avant la relocalisation, la sobriété et la justice territoriale. Le Parti Socialiste et Place Publique adoptent un positionnement ambigu et souvent contre-productif pour les luttes locales, oscillant entre discours écologiques et soutien au développement économique.
Du côté gouvernemental, Renaissance et Les Républicains soutiennent massivement la compétitivité logistique, au nom de l’attractivité et de la croissance. Le Rassemblement National, quant à lui, critique parfois les effets de la mondialisation mais sans jamais remettre en cause le modèle marchand ni les infrastructures associées. Aucun projet de rupture systémique ne s’y dessine.
Lors d’un vote récent à la commission européenne portant sur l’avenir de la politique de transport et la stratégie de décarbonation, les eurodéputés LFI et EÉLV se sont opposés au renforcement des corridors logistiques, tandis que les députés Renaissance, LR, RN et PS/Place Publique ont voté en faveur de cette intensification des flux.
Cette fragmentation politique montre la nécessité d’un débat démocratique plus large sur l’avenir de nos territoires face à l’expansion logistique mondiale.
Où en sont les luttes ?
S’opposer à un contournement routier, à un nouvel entrepôt ou à l’exploitation d’ouvriers sans-papiers dans les hubs logistiques, c’est toujours s’attaquer au même système. Car sous des formes variées, ces projets participent tous à la même logique : l’expansion sans fin de l’empire logistique.
Une résistance s'organise
Des dizaines de projets logistiques font l’objet de contestations actives en France : entrepôts Amazon (Nantes, Petit-Couronne, Belfort), plateformes logistiques XXL (Amiens, Perpignan), infrastructures ferroviaires (Lyon-Turin), contournements routiers (Rouen, Strasbourg, Arles).
Partout, les luttes locales se multiplient :
- à Fournès, dans le Gard, la mobilisation a stoppé un entrepôt Amazon en 2021 et continu de se mobiliser contre l’empire logistique;
- à Montbert (Loire-Atlantique), la mobilisation victorieuse de 2021 a permis d’empêcher l’installation d’un mégaprojet logistique;
- en Alsace, le Grand Contournement Ouest de Strasbourg continue de susciter la colère ;
- dans les vallées de l’Ain ou de la Seine, on s’oppose à l’artificialisation des terres agricoles et des berges;
- à Brétigny-sur-Orge, les collectifs s’organisent contre l’implantation d’un centre logistique.
Mais ces luttes sont souvent éprouvantes : elles affrontent à la fois des géants de la logistique, des pouvoirs publics inféodés à la croissance économique, et parfois même des divisions locales. Car au sein d’un même territoire, les élu·es peuvent soutenir le projet au nom de l’emploi, quand les habitant·es s’y opposent pour défendre leur cadre de vie. Ces conflits fracturent les solidarités locales et rendent d’autant plus difficiles les mobilisations collectives.
Journée de mobilisation contre les projets d’entrepôts logistique en Sarthe.
L'alliance entre syndicats et écologistes ; un tournant décisif dans les luttes
La logistique détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée. En France, entre 2009 et 2018, l’e-commerce a généré 30 000 emplois… mais en a supprimé 81 000. Pour chaque emploi créé, six disparaissent dans les commerces de proximité. Aux États-Unis, ce sont 670 000 emplois nets perdus en 12 ans. Et ces chiffres continuent de grimper.
Soulèvement des salaires – récit du soutien aux grévistes de la logitsique à Gennevilliers – Par le comitié Local Plaine Tempête Soulèvements Banlieue Nord 92-93
À Brétigny, Gennevilliers, ou Rouen, ces coalitions locales sont en première ligne, réinventant les luttes sociales et écologiques pour leur redonner du souffle et leur donner plus de poids. Elles montrent que défendre l’emploi digne et défendre la planète, c’est le même combat. Cette alliance marque un tournant pour les luttes contre l’expansion de l’empire logistique, et elle constitue une réponse puissante aux défis socio-économiques et environnementaux liés à ce système.
Qui fait quoi ?
Stop-Amazon.fr – portail de lutte et d’information contre les entrepôts Amazon partout en France.
Collectif STRIKE – enquêtes, cartographie et soutien aux luttes logistiquesCes réseaux s’articulent de plus en plus avec des syndicats, notamment dans le secteur du transport et de l’entrepôt. L’alliance entre écologistes et syndicalistes constitue un tournant majeur pour ces luttes, en reconnectant la critique écologique du système logistique à la défense des droits sociaux et des conditions de travail.
Les Soulèvements de la Terre – acteur majeur des mobilisations contre l’artificialisation des terres, y compris logistique.
Entrepôt géant en Val de l’Eyre – par les Amis de la Terre
Les Amis de la Terre – Page logistique, Asso engagée pour la protection de l’Homme et de l’environnement en France et ailleurs.
Attac – campagne contre les entrepôts amazons, qui met l’accent, en 2025, sur les pratiques fiscales d’Amazon (pour la taxation unitaire des multinationales).
Syndicats alliés –
Collectif Stop GreenDock & Seinetempête – collectif local et coalition contre Greendock (Ile-deFrance)
Quelles actions possibles ?
La résistance prend ici et là de multiples formes, et vous trouverez sur ce site de nombreuses ressources pour vous accompagner.
- Recours juridiques et mobilisations citoyennes,
- Occupations et actions directes non violentes,
- Blocages de chantiers, enquêtes citoyennes et contre-expertises,
- Campagnes de sensibilisation et cartographies critiques,
- Alternatives territoriales : plateformes coopératives locales, circuits courts, zones agricoles protégées, logistique décarbonée de proximité.
Certaines luttes se sont distinguées par leur créativité ou leur efficacité : Fournès pour le juridique, Brétigny pour l’alliance avec les syndicats, Montbert pour la mobilisation territoriale, Strasbourg pour la ténacité. Ensemble, elles montrent que résister est non seulement possible, mais vital.
Sur Reporterre, © Jac Pigeon, Collectif Préservation des berges de Seine
Certaines collectivités osent aussi des choix courageux :moratoires sur l’artificialisation (comme à Rennes ou à Besançon), soutien aux AMAP et à la logistique du dernier kilomètre en modes doux, refus de céder du foncier public aux multinationales (ex. Plaine Commune, Seine-Saint-Denis).
À l’échelle nationale, des politiques structurelles pourraient être revendiquées collectivement :
- renforcer massivement le fret ferroviaire public et relocalisé ;
- taxer les produits issus de la surconsommation et les livraisons express ;
- limiter la taille des entrepôts et encadrer le e-commerce ;
- instaurer des zonages de protection des terres agricoles et de la biodiversité.
Podcasts et Videos
« Cargaison d’enfer » – Documentaire militant, pour voir concrètement les ravages du système logistique.
Table ronde « Analyse des enjeux des réseaux de transport, les tentacules de la résistance » – Les résistantes, 2023
Livres & textes
Dossier spécial logistique – ATTAC France, Un 8-pages très accessible pour comprendre les enjeux économiques, sociaux et écologiques de la logistique.
Flux. Comment la pensée logistique gouverne le monde – Mathieu Quet, Un essai critique et percutant sur la domination silencieuse de la pensée logistique.
L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique – Jean-Baptiste Fressoz, une relecture passionnante de l’histoire industrielle qui déconstruit le mythe du progrès neutre et nécessaire.
Sites outils
Stop Amazon – Portail de lutte et d’information contre les entrepôts Amazon partout en France.
Collectif STRIKE – Enquêtes logistiques, cartographies critiques, récits de luttes dans les entrepôts.
Collectif Stop GreenDock – Contre la bétonisation logistique, infos, communiqués, argumentaires citoyens.
Les Soulèvements de la Terre – acteur majeur des mobilisations contre l’artificialisation des terres, y compris logistique.
Les Amis de la Terre – Page logistique, Asso engagée pour la protection de l’Homme et de l’environnement en France et ailleurs.
Retour sur la vague d’actions contre l’empire Bolloré – Soulèvements de la terre
